By Daniel Lapointe

Leçons de gouvernance

Les médias du Québec ont révélé en mars 2019 qu’une crise avait secoué la Fondation du Dr Julien l’année précédente. De nombreux employés et gestionnaires ont confié à La Presse avoir quitté leur emploi en raison d’un climat de travail rendu toxique par le comportement du Dr Julien et de son épouse, Me Hélène Sioui Trudel, directrice générale de l’organisme à l’époque. La crise a notamment provoqué la démission de la directrice générale et le départ de cinq des 10 administrateurs de la corporation. Le Dr Julien avait remis son chapeau de PDG après le retrait de sa conjointe. Les nombreux témoignages d’anciens employés sont accablants et tracent le portrait d’une organisation qui affiche des pratiques de gouvernance défaillantes. Les directeurs généraux se sont d’ailleurs succédés à un rythme effarant pendant plusieurs années.

Quelles leçons de gouvernance pouvons-nous tirer de la crise qui a ébranlé cette Fondation qui jouissait jusqu’alors d’une belle réputation auprès du grand public?

  1. Une même personne ne doit pas assumer les postes de président du conseil d’administration (CA) et de chef de la direction. Selon un consensus maintenant clairement établi, de saines pratiques de gouvernance dictent que ces deux postes névralgiques soient occupés par deux personnes différentes. Le président du CA et le directeur général assument des rôles à la fois distincts et complémentaires. Rappelons que l’une des responsabilités les plus importantes d’un CA consiste à porter un regard indépendant sur le travail du directeur général et de son équipe de gestion. Un CA sera moins en mesure de s’acquitter convenablement de cette responsabilité si son président occupe aussi le poste de chef de la direction.
  2. C’est dans cet esprit qu’il n’est guère plus sage de confier ces deux postes clés du système de gouvernance à deux personnes qui sont intimement liées dans la vie personnelle. Il s’agit d’un conflit d’intérêts qui risque de porter atteinte aux intérêts supérieurs de l’organisation.
  3. Un CA d’organisme sans but lucratif (OSBL) doit vraiment prendre au sérieux son rôle et assumer avec compétence l’ensemble de ses responsabilités. En vertu de la loi, le CA est l’instance qui rend des comptes à propos des agissements de l’organisation face à ses divers publics. Un CA délègue à un directeur général la gestion des affaires courantes mais il demeure néanmoins imputable de ce qui se passe au quotidien. Par conséquent, les administrateurs doivent prendre les moyens pour être satisfaits que l’organisation est gérée de manière compétente et éthique, dans le respect des lois et de ses parties prenantes internes et externes. Lorsque les directeurs généraux se succèdent à un rythme alarmant, le CA doit chercher la racine du problème.
  4. Dans une situation de crise qui implique le directeur général de l’organisation, un CA a intérêt à piloter directement toute enquête confiée à des experts externes. Il ne doit pas mandater le directeur général, lorsque ce dernier est lui-même visé comme responsable de la crise, pour piloter les enquêtes. De plus, il n’est pas sage, comme ce fut le cas à la Fondation du Dr Julien, de se tourner vers une ressource experte dont la neutralité pourrait être mise en cause, notamment parce qu’elle a par le passé encensé le travail de l’organisation et de son président.

La réputation d’une organisation représente l’un de ses actifs les plus importants. De saines pratiques de gouvernance minimisent ce qui est communément appelé le risque réputationnel. Ceci est également vrai pour les organisations qui sont étroitement identifiées à leur fondateur. Il faut toujours se rappeler qu’un OSBL n’est pas la propriété privée d’une personne. Les OSBL, à fortiori les organismes de bienfaisance qui engagent l’argent public en émettant des reçus en contrepartie d’un don charitable, ont des obligations légales et morales à l’endroit de l’ensemble de la société. Ils doivent par conséquent être gouvernés par des conseils d’administration composés de personnes engagées, indépendantes et compétentes qui seront capables d’exercer un sain contrepoids, face au fondateur et à l’équipe de direction, et favoriser l’atteinte de la plus grande performance organisationnelle.

Daniel Lapointe
23 mars 2019