L’obsession des frais d’administration
J’ai donné une conférence portant sur l’obsession des frais d’administration le 3 novembre dernier au Colloque de l’Association des fondations d’établissements de santé du Québec (AFESAQ). Les dirigeants d’organismes de bienfaisance savent à quoi je fais référence lorsque j’utilise le terme « obsession ». Ils sont habitués de répondre aux attentes et aux pressions parfois déraisonnables, exprimées par leurs donateurs et autres parties prenantes, de maintenir à un niveau très bas leurs frais d’administration et de campagne. L’effort pour contenir ces frais se fait malheureusement trop souvent au détriment de la mission des organismes.
Je veux être clair, je ne suis pas contre le contrôle des frais d’administration. J’encourage depuis toujours la gestion efficiente des organismes de bienfaisance. Mais je suis contre la diabolisation des frais d’administration et l’obsession de vouloir les réduire à tout prix.
Les médias d’information nous assomment régulièrement avec des articles qui dénoncent ce qu’ils voient comme un gaspillage de l’argent des donateurs. Les organismes de bienfaisance qui consacrent plus de 15% de leurs dépenses en frais d’administration sont sévèrement critiqués par les chroniqueurs, éditorialistes et autres leaders d’opinion. Le grand public se montre encore plus intransigeant. Selon 40% des répondants québécois, sondés lors d’une récente enquête (Fondation Muttart 2013), les organismes doivent consacrer 100% de leurs revenus à la cause. Par conséquent, 0% en frais d’administration!
Mais quels sont donc ces frais d’administration que nous voulons tant limiter, sinon éliminer?
Prenons une situation type à laquelle pourront s’identifier tous les donateurs. Un mécène appelle au bureau de l’organisme de bienfaisance qu’il soutient afin de demander qu’on lui fasse parvenir par courriel les états financiers les plus récents. Le salaire de l’employé qui répond à son appel est considéré, en tout ou en partie, comme des frais d’administration. Son bureau et son ordinateur, ainsi que le téléphone qu’il utilise pour s’entretenir avec le donateur, représentent des dépenses d’administration. Les états financiers qu’il fera parvenir au mécène ont été préparés par un comptable dont le salaire figure au chapitre des frais d’administration et ont été vérifiés par un auditeur indépendant dont les honoraires constituent des frais d’administration. Afin de produire des états financiers de qualité et de demeurer à la fine pointe des normes de sa profession, le comptable suit de la formation continue payée par son employeur. Ces coûts de formation font partie des frais d’administration. Les coûts du logiciel utilisé par le comptable ainsi que ceux liés au renouvellement de la licence d’utilisation figurent parmi les frais d’administration. L’entretien du site web sur lequel seront affichés incessamment les états financiers représente également des frais d’administration. Les coûts du rapport annuel dans lequel l’organisme inclura ses états financiers, de même que plusieurs autres renseignements d’intérêt pour les donateurs, sont imputés aux frais d’administration.
Comme nous pouvons le constater, les frais d’administration sont à la fois incontournables et légitimes. Ils sont nécessaires pour soutenir la mission de l’organisme de bienfaisance et ne méritent pas d’être assimilés à de l’argent gaspillé. Il faut tâcher de les contrôler, mais il ne faut pas se sentir honteux s’ils s’élèvent à plus de 15%.
Je me méfie davantage des organismes qui affichent un ratio très bas (ex : 10%) que de ceux qui affichent un ratio plus élevé (ex : 25%). Les organismes qui cherchent à tout prix à garder leur frais d’administration à un niveau très bas n’investissent probablement pas où ça compte pour assurer leur efficacité et la pérennité de leur œuvre. Ils payent probablement leurs employés responsables de la collecte de fonds et de l’administration sous la moyenne du marché et doivent composer avec un taux de roulement élevé du personnel. Ils n’acceptent probablement pas de payer pour la formation continue, avec l’impact négatif d’une telle approche sur la performance. Ils ne fournissent pas à leurs employés et bénévoles les meilleurs outils informatiques, ce qui fait que l’organisme ne profite pas au maximum des bienfaits des nouvelles technologies. Ces organismes n’investissent probablement pas dans la gouvernance de leur organisation, n’acceptant pas de dépenser pour faire une planification stratégique selon les règles de l’art ou pour encadrer et soutenir le travail du conseil d’administration et de ses comités. Bref, à vouloir rogner sur les dépenses dites d’administration, les organismes hypothèquent leur capacité de bien accomplir la mission pour lesquels ils ont été créés.
Daniel Lapointe
7 novembre 2016